Chine, carnet de voyage

2018

 

J’ai beau avoir tendance à éviter de prendre l’avion autant que possible, je dois avouer que le vol Katmandou – Chengdu est à couper le souffle. L’appareil s’arrache à la piste de décollage, Katmandou ne tarde pas à devenir une petite tâche lointaine, et mon épisode népalais s’en voit brutalement relayé au rang de souvenir. Chanceux comme je suis, je me retrouve avec un siège près d’une fenêtre et j’ai loisir à admirer le paysage défiler depuis le ciel.

Dès lors que nous nous élevons au-delà des nuages, j’aperçois au loin les pics enneigés de l’Himalaya qui se dressent avec inégalable majesté au-dessus de l’épais duvet nuageux. Quel spectacle ! Nous survolons ainsi les montagnes les plus hautes du monde qui laissent petit à petit place aux vastes et ocres plateaux du Tibet. Le ciel est désormais dégagé et j’aperçois de temps à autre des habitations au sol. La vue est certes grandiose de si haut, mais au fond je regrette de pas avoir pu parcourir ces villages en stop ou à pied : à hauteur humaine. Qu’importe maintenant, j’ai déjà fait le deuil de ma potentielle traversée du Tibet, et alors que l’avion entame sa redescente, la mégapole qui servira d’introduction à mon périple en Chine se dessine déjà au sol.

Me voilà à Chengdu, et malgré la proximité géographique avec le Népal, le dépaysement est pour le moins saisissant. Fini le désordre, le chaos et les motos qui sillonnent les allées à moitié pavées en klaxonnant à tout va. Chengdu a beau être dix à quinze fois plus grande que Katmandou, la ville semble bien plus calme et ordonnée. Les routes sont larges et soigneusement bétonnées, les infrastructures sont très développées, tout semble méticuleusement organisé. Bouche-bée, j’observe depuis la fenêtre du bus qui me mène dans le centre-ville les immenses bâtiments et autres tours à l’architecture moderniste qui peuplent le paysage urbain.

 

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Une de mes premières ballades fortuites dans la capitale de la province de Sichuan me mène à travers d’opulents quartiers d’affaires : rien de bien charmant en soi, mais le style épuré, les grandes affiches et l’omniprésence de lignes fortes se prête bien à la photo de rue. Sorti du quartier d’affaires, me voilà au People’s Park, et je suis surpris d’y trouver une ambiance très festive. Plusieurs chorales et groupes de musique y donnent des concerts en plein air. Un peu plus loin, une sorte de grand bal extérieur bat son plein et une cinquantaine de couples dansent jovialement sur de la musique traditionnelle. Il s’agit sûrement d’une occasion spéciale ou d’un festival… Et non ! J’assisterai à plusieurs évènements similaires à travers le pays pendant les semaines à venir. Pas besoin de raison particulièrement pour profiter de la musique et danser, après tout. Je sens que la Chine me réserve de nombreuses surprises.

En ce qui concerne la cuisine, l’Inde et le Népal commencent déjà à me manquer. Je n’ai jamais été friand des plats chinois que j’ai pu gouter auparavant et je n’ai pas l’impression que cela va s’arranger sur place. Je mange peu de viande et les Chinois en raffolent. Ici, des pattes de poulet frites et autres organes non-identifiés servent de snacks vendus au coin de la rue. Les menus de restaurant ne sont qu’en Chinois et personne ne parle un mot d’anglais… Je ne fais pas l’aventurier dans ce domaine et je m’en tiens à commander du riz et des légumes.

Pour mon dernier soir à Chengdu, un Australien et une Allemande de mon auberge qui connaissent bien la ville m’emmènent au Jah Bar. Le bar est tenu par un musicien qui y organise souvent des jam sessions. La guitare que je me trimballe depuis Istanbul est désormais bien déglinguée et je suis ravi de pouvoir jouer sur du bon matériel avec des musiciens talentueux. Et le public semble apprécier !

Pendant les quelques jours à Chengdu j’ai aussi essayé d’esquisser un semblant d’itinéraire pour ma traversée du pays. Heureusement, j’ai pu annuler toutes les auberges que j’avais dû réserver pour la demande de visa, je suis donc libre comme l’air. A regarder la carte cependant, il y a de quoi être impressionné. Le pays est gigantesque, les possibilités infinies. Une seule chose est sûre, il fois que je sois à Pékin d’ici trois semaines pour mon train direction la Mongolie. J’opte dans un premier temps pour un détour vers le nord-ouest qui devrait me permettre d’explorer quelques villages tibétains accessibles sans permis spécial.

Objectif de la journée : Songpan, à 320 kilomètres de route. Pour ma première journée d’autostop en Chine il va de soi qu’il vaudrait mieux commencer tôt. Impossible évidement, avec la gueule de bois que je me tape après la soirée de la veille au Jah Bar. En plus, la ville est tellement gigantesque qu’il me faut plusieurs heures pour m’en extirper jusqu’à un endroit convenable pour trouver une voiture. Je prends d’abord le métro au milieu d’une foule de zombies les yeux rivés sur leurs précieux téléphones puis un bus pour Shuimo à la sortie ouest de la ville.

Le bus me dépose à un endroit pas des plus propices et il me faut d’abord regagner la route principale. Heureusement, je me fais prendre pour la première fois en Chine après seulement une dizaine de minutes. Mes premiers conducteurs sont de jeunes Chinois en route pour Chengdu et, chose rarissime, l’un d’entre eux se débrouille en anglais : seulement un autre chauffeur baragouinera quelques mots de la langue de Shakespeare pendant toute ma traversée du pays.

Ils me déposent à la bonne intersection et je me mets à la recherche d’un nouveau véhicule, armé de ma pancarte en carton avec Songpan inscrit en caractères chinois. Je me suis également fait traduire en mandarin une petite lettre qui explique qui je suis et le concept de l’autostop. J’avais fait la même chose en Iran où l’usage de l’anglais est peu répandu hors des grandes villes et l’autostop méconnu. Cela devrait m’être d’une grande aide ici aussi.

 

 

Une luxueuse berline noire ne tarde pas à s’arrêter et son chauffeur me fait comprendre qu’il peut m’emmener jusqu’à Wuechuan à une cinquantaine de kilomètres d’ici. Le stop en Chine s’annonce plutôt bien ! Depuis que je me suis éloigné de Chengdu, je suis entouré de collines boisées verdoyantes. Quel plaisir d’admirer ces paysages inconnus défiler !

Mon nouveau chauffeur ne parle évidemment pas un traitre mot d’anglais… Je suis chez lui, à moi d’apprendre sa langue. A l’aide d’un petit guide de conversation anglais/mandarin que j’ai acheté à Katmandou par précaution, j’essaie tant bien que mal de me faire comprendre. Ne pouvant bien sûr par lire les caractères chinois, j’essaie de prononcer les mots à partir du Pinyin, la version employant des caractères latins. Une fois sur deux néanmoins, mon interlocuteur fait des grimaces et ne comprend rien à ce que je tente de lui dire. Le mandarin est une langue tonale et dispose de quatre différents tons, cinq si on compte le neutre, qui ont un impact sémantique direct (sur la signification des mots). Ainsi signifie « mère », : « le chanvre », : « le cheval », et  : « le mépris ». De quoi prêter à confusion. De manière plus cruciale pour moi, la traduction la plus proche du terme d’autostop se dit da-bian-che. Cependant, si prononcé incorrectement (ce qui est certainement mon cas), le terme risque d’être compris comme « manger de la merde ». Or je n’ai guère l’intention de créer un incident diplomatique, je m’en tiendrai donc à ma lettre.

 

 

Mon chauffeur me dépose à l’entrée de Wuechuan devant une statue improbable et je me remets au stop. D’énormes bourrasques de vents ballaient la petite ville et j’ai du mal regarder dans les yeux les conducteurs des voitures qui passent. A un moment, le vent est tellement puissant qu’il emporte ma guitare sur une dizaine de mètres et je dois lui courir après !

L’endroit ne doit pas être très propice car je reste planté là pendant au moins une heure et demie avant que quelqu’un ne s’arrête. Deux jolies Chinoises me font comprendre qu’elles ne vont pas vers Songpan mais elles veulent me donner un coup de main. Elles me déposent à la sortie de la ville sur la bonne route, d’ici j’aurais plus de chance de me faire emmener. En effet, un jeune homme me prend dans la foulée jusqu’à Maoxien à mi-chemin vers Songpan. Il commence à faire sombre et je suis exténué, je décide d’en arrêter là pour aujourd’hui. J’avale un bol de riz dans le premier petit restaurant que je croise car je n’ai rien mangé depuis le petit-déjeuner et je me mets à la recherche d’un endroit pour la nuit. Mon téléphone est en train de rendre l’âme, impossible d’utiliser le GPS pour trouver une guesthouse abordable. Les habitants de la petite ville ne doivent pas voir souvent des étrangers à en juger par leurs regards ébahis lorsque je croise leur chemin. Ils sont cependant très aimables et quatre adolescentes me mènent jusqu’à un hôtel miteux, qui correspond donc parfaitement à mon budget. Je m’écroule sur le lit et dors treize heures d’affilée.

 

 

Petite balade sur la place du marché de Maoxien le lendemain matin. Ravi d’être arrivé à la campagne, je trouve les gens moins pressés et plus sympathiques qu’en ville. Je ne m’attarde pas cependant, je compte vraiment arriver à destination aujourd’hui. Une fois rendu à la sortie de la ville, deux hommes fumant une cigarette devant leur voiture sur un parking voient ma pancarte et me font signe de grimper à l’arrière. Wow c’était facile aujourd’hui ! Je profite du trajet pour continuer la lecture de On the road de Jack Kerouac, un excellent livre que je suis cependant pressé de terminer pour attaquer quelque chose sur la Chine afin de mieux comprendre ce pays que je connais si peu.

Une fois encore les locaux me sont d’une grande aide. Des lycéens rencontrés sur la place principale me mènent jusqu’à mon auberge dans la périphérie de la ville que je n’aurais sinon jamais trouvée. L’auberge est vide, ça ne se bouscule pas au portillon à Songpan… Les gérants sont néanmoins très accueillants. Ils m’apportent à trois reprises de la nourriture gratuitement. Malheureusement j’ai vraiment du mal avec les saveurs chinoises… Qu’importe, le geste est là !

En fin d’après-midi, je grimpe en haut d’une colline environnante et profite d’un vaste panorama sur la vallée. J’y rencontre également un berger et son fils qui ont l’air très démunis. Le pays s’est développé à une vitesse fulgurante au cours des dernières décennies, phénomène qui a bien sûr ses laissés-pour-compte.

 

 

Le lendemain je fais une petite pause d’autostop et pars à la découverte de la ville. Songpan correspond à l’idée que je me faisais d’une petite ville traditionnelle chinoise. Les vestiges d’une ancienne muraille entourent encore une partie des habitations. Une grande arche colorée à la toiture courbée aux extrémités sert d’entrée et donne sur une longue allée qui traverse toute la ville où s’enchaînent échoppes et marchands de fruits et légumes. Au retour d’une ballade dans les modestes montagnes alentours, je croise deux femmes tibétaines qui me font signe de les suivre dans leur temple bouddhiste dans les hauteurs de la ville.  L’une d’entre elle me fait visiter les différentes pièces du temple et nous passons un agréable moment malgré la communication limitée. Je suis content de m’être éloigné d’emblée des régions touristiques, on se fait toujours mieux recevoir par les locaux.

Des trombes d’eau commencent à s’abattre sur la petite ville pendant que je me dirige vers l’auberge en fin d’après-midi. Je me réfugie vite dans une échoppe et à ma grande surprise, la gérante m’adresse la parole en bon anglais. Je suis ravi de pouvoir avoir une vraie conversation avec une autochtone, j’ai beaucoup de questions à poser. Elle se présente comme Kate, ça ne sonne pas très chinois… En effet, de nombreux jeunes Chinois se choisissent eux-mêmes un prénom à consonance anglophone pour les échanges avec les étrangers car leurs vrais noms sont souvent tout bonnement imprononçables pour le commun des mortels. Elle m’explique que plusieurs groupes ethniques peuplent la petite ville. Des Chinois Han bien sûr (l’ethnie majoritaire à plus de 90% dans le pays), mais aussi des musulmans Hai et des Tibétains comme j’ai pu m’en apercevoir. Les différentes communautés vivent en paix ensemble selon elle.

 

 

Armé de ma pancarte écrite par mes soins cette fois, je me remets en route vers le village tibétain de Langmusizhen dès le lendemain matin. Un poids lourd avec deux Chinois sympathiques à son bord me prend pour tout le trajet, soit près de cinq heures de route. Nous gagnons progressivement de l’altitude et la végétation se fait de moins en moins variée. Les arbres ont laissé place à des collines recouvertes de mousse aux différentes teintes de vert. Plus loin, de part et d’autre de la route s’imposent des montagnes noires aux sommets enneigés. Le climat est très humide, nous roulons pendant au moins deux heures sous une pluie torrentielle. Je remercie encore mes conducteurs, quel bonheur d’être au sec ! Les paysages me rappellent un peu ceux de l’Ecosse ou de l’Islande. A mi-chemin, un panneau indique que nous avons atteint 3800m d’altitude ! Je ne m’attendais vraiment pas à remonter aussi haut, j’ai renvoyé tous mes vêtements chauds en France après le trek au Népal, je n’ai même plus de pantalon…

A chaque fois qu’on approche d’une petite ville ou d’une station péage, mon chauffeur me tend un masque anti-pollution qu’il me fait signe d’enfiler pour dissimuler mes traits exotiques. La région serait-elle interdite aux étrangers ? Je n’en mène pas large lorsque nous passons à côté de la police. Nous n’aurons heureusement pas de soucis sur la route et je me fais déposer à une intersection à quatre kilomètres de Langmusi. Une dernière voiture me dépose dans le centre-ville. Le conducteur est un homme aux traits tibétains prononcés qui marmonne inlassablement le mantra bouddhiste « Om mani padme um … » tout en faisant glisser une à une les perles de son collier de prière.

Au diable la région autonome et les restrictions imposées par le gouvernement chinois, lorsque j’arrive à Langmusi, j’ai vraiment l’impression de me retrouver au Tibet ! Entouré d’imposantes montagnes enneigées, le village aux nombreux temples dorés se trouve à 3300 mètres d’altitude. Les teintes ocres dominent, les devantures de magasins sont désormais inscrites également en alphabet tibétain.

 

 

L’auberge où je loge pour quelques nuits est quasiment vide, et les deux seules autres personnes qui y séjournent en même temps que moi ne sont pas les touristes habituels. Rob et Vicky ont tous deux étudié la langue et la culture tibétaines pendant deux ans à Lhassa, la capitale du Tibet! Vicky a un bon niveau de tibétain et Rob lui parle couramment mandarin, il habite depuis plusieurs années à Shanghai. Nous passons la soirée ensemble et allons manger dans un petit restaurant tibétain. Au menu : momos (sortes de raviolis) et pain frit à la viande de yak. Inhabituel mais pas déplaisant ! D’un autre côté je m’interroge pourquoi les Tibétains mangent tant de viande de yak alors que selon la doctrine bouddhiste, il est immoral de prendre une vie, aussi bien humaine qu’animale. On m’expliquera par la suite que la haute altitude rend difficile la cultivation de légumes et la consommation de viande s’est imposée d’abord comme nécessité, puis comme habitude. Considérant chaque vie comme ayant égale importance et essayant de minimiser le nombre de pertes, ils ne mangent cependant presque que du yak et non de la volaille par exemple, car la viande d’un seul animal permet de nourrir une famille pendant une année entière.

 

 

Le lendemain je pars à la découverte de la petite ville, ses temples, son école monastique dont les allées sont arpentées par des dizaines de jeunes moines en robes rouges… Je m’arrête le midi dans un petit restaurant tenu par un Tibétain anglophone très aimable. Même si ce n’est pas autant le cas qu’à Lhassa, il me raconte que le rouleau compresseur chinois est en marche ici aussi. Chaque année, de nouveaux Han s’installent à Langmusi, encouragés par des subventions du gouvernement qui visent à renforcer l’hégémonie chinoise au détriment de l’identité et la culture tibétaines. L’architecture s’en voit elle aussi peu à peu transformée, avec d’immondes bâtiments grisâtres qui poussent à côté des bâtisses traditionnelles. Xiahe, mon prochain arrêt, sera à cet égard un exemple encore plus marquant.

 

 

Je serais bien resté plus longtemps à Langmusi, mais il me reste une grande distance à parcourir jusqu’à Pékin. Deux voitures me font rejoindre la route principale et je me fais prendre dans la foulée par une camionnette à ciel ouvert qui fait un boucan d’enfer. Nous roulons cheveux aux vent, respirant l’air frais et la liberté ! Il me faudra encore deux véhicules pour atteindre Xiahe en début de soirée. Après une longue journée de stop, je suis content d’arriver à mon auberge. Dugar, le propriétaire, m’accueille chaleureusement. Nous passons la soirée ensemble avec Rita et Capucine, une Portugaise et une Française qui séjournent aussi à l’auberge. Rita semble avoir passé toute sa vie à voyager, elle a des anecdotes à raconter sur tous les continents, je suis presque jaloux lorsqu’elle raconte qu’elle a traversé le Tibet en stop il y a une quinzaine d’années, à l’époque où un guide n’était pas obligatoire… Je suis né une génération trop tard !

Nous passons une belle soirée, Dugar sort une bouteille de vin de sa collection et nous faisons de la musique. L’histoire de Dugar m’a beaucoup touché. Lorsqu’il avait 16 ans, il désirait se rendre à Dharamsala en Inde pour recevoir une bénédiction du Dalaï-Lama en personne et pour apprendre l’anglais. Cependant, comme de nombreux tibétains, il ne dispose pas de passeport. Il s’est donc vu contraint de traverser la frontière illégalement, à l’issu de plusieurs jours de marche dans les montagnes avec très peu de réserves d’eau et de nourriture, toujours à l’affût des gardes-frontière armés… Il refera le trajet en sens inverse quelques années plus tard pour rentrer dans sa natale Xiahe.

Xiahe est célèbre car elle abrite le temple Labrang, un immense monastère bouddhiste. Je suis les croyants dans leurs pérégrinations matinales autour du temple à faire tourner les moulins à prière. Dans le bouddhisme tibétain, tout semble toujours tourner dans le sens des aiguilles d’une montre : les moulins à prières, les dévots autour des temples, les manikolo (sortes de hochets en bois avec une petite boule métallique attachée avec de la corde à la partie supérieure qui tourne sans cesse), etc.

 

 

Tim, un journaliste Australien, est arrivé à l’auberge aujourd’hui. Il semble lui aussi avoir pas mal voyagé et a publié des articles sur le Tibet, la Corée du Nord ou encore l’Afrique orientale et la Palestine. Tim me rappelle les tristes statistiques des immolations au Tibet : depuis l’annexion du pays en 1950, près de 160 moines se sont immolés par le feu en signe de protestation contre la politique colonialiste chinoise dans la région, et plusieurs se sont immolés ici-même dans le monastère de Labrang.

Prochaine étape : Lanzhou, la capitale de la province de Gansu à quatre heures de route d’ici. Je quitte l’auberge aux alentours de midi, une première voiture passe à côté de moi sans s’arrêter, puis la seconde se range immédiatement sur le côté à la vue de ma pancarte. Quatre Chinois à son bord se font une joie de m’emmener jusqu’à la porte de mon hôte rencontrée sur Couchsurfing à Lanzhou. « That’s hitchhiking done right ! »

Wenyu m’accueille chez elle pour quelques jours. Elle habite au 25ème étage d’une des grandes tours maussades dont la ville industrielle est remplie. Lanzhou me paraît immense et pourtant Wenyu insiste qu’il s’agit d’une « petite ville ». Tout est question de perspective… En soi elle n’a pas tort, la population avoisine les trois millions, une bagatelle à l’échelle du pays. Chengdu en comptait quinze.

 

 

Pendant les jours qui suivent, elle me fait découvrir un peu la ville et me présente ses amis. Nous allons un jour manger un hot pot. Pour ce plat convivial très populaire en Chine, un wok est installé sur une gazinière au centre de la table avec différentes sauces en constante ébullition. On y fait cuire à sa guise légumes, fruits de mer ou viandes. Très bon mais aussi très épicé. En Chine on mange encore plus relevé qu’en Inde, je crache du feu ! Barbecue avec ses amis le soir même, je constate une fois encore que les Chinois ont une descente fulgurante. Les bières sont légères, mais elles s’enchaînent promptement au rythme des « ganbei ! » (un mélange de « santé ! » et « cul-sec ! » en mandarin, le terme implique qu’il faut nécessairement terminer son verre d’une traite). Ils sont sûrement aussi les plus gros fumeurs que j’ai pu voir pendant mes voyages. La clope au bec en toute circonstance.

La ville de Lanzhou n’a pas d’attractions à proprement dites, mais je m’entends bien avec Wenyu et ses amis et je finis pas y rester presque une semaine. Il ne faut pas que je m’éternise cependant, il ne me reste plus qu’une dizaine de jours pour rallier Pékin !

Je quitte Lanzhou de bonne heure et commence à faire du stop à une station de péage à la sortie de la ville. Un homme d’affaires m’emmène dans son 4×4 pour un bout de chemin. J’avais bien compris qu’il n’irait pas bien loin, mais nous n’avons même pas croisé une station essence que mon chauffeur sort déjà de l’autoroute… Un vrai lift empoisonné. Me voilà maintenant à une entrée d’autoroute au milieu de nulle part où les rares voitures qui passent retournent vers Lanzhou.

 

 

Je galère pendant deux heures sous un soleil de plomb jusqu’à ce qu’un homme me prenne en pitié. Il essaye d’abord de me forcer un billet de 100 yuan (13€) dans la main pour que j’aille prendre un bus. Pas question ! Je suis un autostoppeur, pas un mendiant. Il insiste quand même pour m’aider et je lui demande de m’emmener à la première station essence sur l’autoroute à quelques kilomètres de là. Une fois là-bas, mon bienfaiteur a du mal à me laisser chercher une voiture, il continue d’insister pour m’emmener à la gare. J’apprécie mais je commence aussi à en avoir marre. 600 kilomètres me séparent encore de Xi’an, l’horloge tourne et il me fait maintenant perdre un temps précieux. Je le remercie une énième fois et il finit par s’en aller. J’aborde maintenant tous les conducteurs et à ma surprise, je me fais systématiquement refouler.  C’était pourtant si simple jusqu’ici ! Je me tourne donc vers les chauffeurs de poids-lourds, et l’un d’eux accepte finalement de me prendre dans son 47-tonnes jusqu’à Xi’an. Ouf !

Lorsque nous décollons enfin, il est déjà 16 ou 17 heures et je suis épuisé par mes laborieuses recherches et la chaleur torride. Mon chauffeur est très sympathique même si la communication se limite à mes vingt mots de mandarin et l’aide fastidieuse de mon dictionnaire. Le camion fait donc 47 tonnes, je le sais avec précision car on se fait peser à tous les péages, et avance bien sûr comme un escargot. Après peut-être huit ou neuf heures interminables, il me dépose à une station essence le long du périphérique de Xi’an. Reste maintenant à trouver l’appartement de John, mon nouvel hôte rencontré sur Couchsurfing. Xi’an est une métropole de neuf millions d’habitants. Ça fait donc une bonne trotte jusqu’au centre-ville. Exténué, je marche pendant près d’une heure avant de croiser un premier signe de vie, un petit restaurant en train de fermer ses portes. Le propriétaire m’appelle un taxi et à 2 heures du matin je suis enfin devant la porte de John. Ce dernier est d’ailleurs bien aimable de me laisser entrer à une heure si tardive. Quelle journée !

 

 

Xi’an fut la capitale du pays au temps de la dynastie Zhou. Je m’attendais, un peu naïvement sans doute, à trouver une ville ancienne. S’il y a bien un centre historique, c’est d’abord de grandes tours lumineuses, des banques, centre-commerciaux et un métro ultra moderne qui façonnent ma première impression de la ville. Après une ballade dans le quartier musulman, ses ruelles étroites et nombreuses échoppes, je me mets à la recherche d’une librairie. J’aimerais trouver une introduction à l’histoire moderne chinoise pour mieux comprendre le pays, mais c’est impossible de trouver quoi que ce soit de correct en anglais. Même à Pékin le choix sera très restreint… John me fait visiter un peu la ville et nous faisons une sorte de tour des religions du pays : nous allons dans une vieille mosquée, un temple taoïste, une église catholique, un temple bouddhiste… Mon hôte me dit qu’il s’était acheté une guitare qu’il n’utilise jamais, il me l’offre en échange d’un coup de main pour apprendre le français via Skype. Génial !

Il fait une chaleur torride et je peine à trouver un véhicule pour sortir de Xi’an. J’ai inscrit « Pingyao » sur ma pancarte, une petite ville à mi-chemin sur la route de Pékin où j’espère arriver ce soir. Mais voilà, les heures passent et personne ne s’arrête… Commençant à me dire que personne ne connait ce bled (un demi-million d’habitants tout de même, tout est relatif), je me fais vite une pancarte « Beijing ». Mais il est déjà 14 heures et je doute que beaucoup de monde aille encore à cette heure-ci de Xi’an jusqu’à Pékin, à 1000 kilomètres d’ici. En effet, la chance ne me sourit toujours pas et je commence à fatiguer à force d’être debout en plein soleil. Les employés du péage sont sympas au moins, ils m’encouragent et m’apportent de temps à autre des cigarettes. Je suis vraiment en train de perdre espoir et je leur demande à l’aide du traducteur d’un de leurs téléphones s’ils peuvent m’aider à trouver un véhicule. Au point où j’en suis, n’importe où sur la route de Pékin fera l’affaire.

 

 

Dix minutes plus tard, un des employés me pointe un vieux camion bleu arrêté après le péage. Je ne me fais pas prier, j’attrape mes sacs et ma nouvelle guitare et je saute dans le camion. Mon chauffeur me fait comprendre qu’il va à Linfen. Je regarde sur la carte, bon c’est quand même à 400 kilomètres dans la bonne direction, c’est déjà ça de pris. Par curiosité, je vais voir ce que Wikipédia a à dire sur cette bourgade. Au lieu de la petite ville historique de Pingyao, je suis donc en route vers la 3ème ville la plus polluée au monde ! Les aléas du stop… Le camion est lent et pour couronner le tout, on sort de l’autoroute pour une livraison dans un chantier qui dure deux heures. Lorsque nous arrivons enfin près de Linfen vers une heure du matin, mon chauffeur se gare dans une zone industrielle à une vingtaine de kilomètres du centre-ville. Il n’ira pas plus loin ce soir… Impossible de trouver une guesthouse ici, mon chauffeur me dit que je peux dormir dans son camion et je reprendrai la route le lendemain matin. Après une telle journée et une nuit pas des plus reposantes, je perds vraiment en motivation… Epuisé, je me résous à prendre le train pour les dernières centaines de kilomètres qui mènent à la capitale.

Mes derniers jours en Chine se passent donc à Pékin. Je fais du Couchsurfing chez un jeune couple sympathique et je me retrouve à être filmé pour une émission de télé-réalité chinoise à la demande de mes hôtes ! Improbable. Il aurait fallu que ça arrive au début de ma traversée du pays, j’aurais eu moins de mal à trouver des voitures ! Pékin est une ville immense, tentaculaire, et je n’en vois bien sûr qu’une infime partie. Plus je voyage, moins je n’ai d’intérêt pour les grosses attractions touristiques, je ne verrai visiterai donc ni la grande muraille, ni la cité interdite… J’aime par contre beaucoup le quartier 798, un ancien complexe industriel réhabilité en galeries d’arts et cafés à l’européenne.

 

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L’épisode chinois aura été un chapitre aussi intéressant que surprenant de mon périple. Il faudrait sûrement consacrer une vie entière si l’on souhaitait vraiment comprendre ce pays si vaste et culturellement si varié. Le mois que j’ai passé ici était plutôt un bref aperçu, une mise en bouche. Après presque onze mois de pérégrinations à travers l’Europe et l’Asie (comment le temps passe !) mon arrivée à Pékin signifie aussi que j’ai atteint l’endroit le plus éloigné de mon voyage. Il est doucement temps de rentrer à la maison. Mais pas d’avion bien sûr ! Départ en train pour la Mongolie imminent.

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